La mesure d'impact des tiers-lieux
Les rendez-vous Tiers-à -Tiers sont des moments de partage ouverts à tous·te·s. Une fois par mois, en visio, on y explore ensemble un sujet transversal, un enjeu vécu, une question qui traverse nos lieux — ou nos vies. Cette fois, c’est Niels Lallemand qui a proposé d’ouvrir la discussion…
Parce que ce qui ne se mesure pas compte aussi, l’évaluation des tiers-lieux doit embrasser l’invisible autant que le mesurable.
Ces espaces hybrides inventent chaque jour du lien social, de la créativité collective et des trajectoires personnelles que le tableur capture mal. Mesurer, oui — mais pour éclairer, apprendre et défendre, jamais pour corseter. C’est dans cet esprit que se pose la question : comment bâtir une démarche d’impact qui rende justice à la richesse multiple des tiers-lieux tout en restant lisible pour les financeurs et utile aux équipes ?
La difficulté vient immédiatement après : comment faire tenir dans un même cadre d’évaluation un fablab de proximité, une maison citoyenne orientée inclusion sociale ou un lieu culturel implanté dans un ancien cinéma ? La plateforme Commune Mesure propose une réponse modulaire : un socle commun minimal (gouvernance, modèle économique, ancrage territorial) auquel chaque lieu ajoute des briques thématiques — carbone, biodiversité, mobilité douce ou ESS — en fonction de ses priorités . Cette architecture « LEGO » permet la comparaison entre pairs sans estomper la singularité de chaque projet, et transforme la collecte de données en véritable outil de pilotage, selon la profession de foi même du collectif .
Reste à démêler l’éternel débat entre quantitatif et qualitatif. Les comptages — visiteurs, heures d’ouverture, recettes de la cantine — sont indispensables pour suivre la santé économique d’un lieu ou négocier une subvention. Mais ils laissent hors champ l’essentiel : la qualité du vivre-ensemble, l’autonomie acquise par un habitant, l’énergie créative libérée lors d’une résidence artistique. Pour objectiver ces dimensions, le RCI-E (Relation Capacity Index appliqué aux écolieux) fournit un cadre à cinq dimensions — rapport à soi, aux autres, au territoire, à la société, à la nature — qui traduit la qualité relationnelle en indicateurs lisibles sans la réduire à de simples « likes » . Adapté avec souplesse, il offre aux tiers-lieux une passerelle entre récit et métriques.
Une autre complexité se niche dans le temps long. Car les effets qui font la particularité d’un tiers-lieu s’observent surtout à plus à longue échéance : si le nombre d’utilisateurs ou le taux de remplissage peuvent être suivi par événement et compilé par trimestres; la réussite professionnelle d’un résident ou la trajectoire d’un projet incubé se lit sur un ou deux ans ; la revitalisation d’une friche ou la mutation d’un centre-bourg émergent sur cinq ans et plus.
Mesurer sans les usagers serait un contresens. Plusieurs lieux belges ont trouvé des pistes légères : cartes postales posées à la sortie « Pour vous, le Monty, c’est quoi ? », la Maison Folie qui avait demandé ce que les gens imaginait dans le lieux à la création du projet, sonde à présent ce que les habitants perdraient si le lieux venaient à fermer ses portes. Ces dispositifs, chronophages mais riches, déplacent la question « qui définit l’impact » vers une construction démocratique qui fait de la mesure un moment de mobilisation.
Le revers de la médaille est le risque de « performance-ite » : sous pression, les équipes peuvent privilégier les actions faciles à compter et éviter l’exploration. La solution passe par des indicateurs négociés ex ante avec les financeurs, assortis d’une clause qualitative reconnaissant le droit à l’essai-erreur. La cartographie des outils actualisée en mai 2025 par France Tiers-Lieux insiste justement sur la nécessité de combiner quelques chiffres clés et des récits d’apprentissage pour éviter cette dérive gestionnaire
Au-delà des méthodes, une petite boîte à outils s’étoffe : le guide environnemental de Commune Mesure pour estimer l’empreinte carbone ou la circularité des ateliers, conçu avec Vertigo Lab ; les webinaires « Mesurer ses effets » diffusés depuis avril 2025 ; et, déjà , des MOOC qui dédramatisent l’évaluation pour les novices.
En définitive, mesurer n’est pas un acte bureaucratique mais un moteur d’empowerment. Avec un socle commun raisonnable, quelques métriques choisies, une dose de récit collectif et la participation des usagers, l’évaluation cesse d’être une corvée et devient un levier pour apprendre, convaincre et prolonger l’expérimentation. Elle rappelle surtout que le tableau de bord le plus parlant est celui qui sait donner toute sa place à ce qui, justement, ne se mesure pas encore.
Si vous avez envie de contribuer à ces réflexions, de partager vos pratiques, vos ressources ou des exemples de lieux qui abordent cette question autrement, n’hésitez pas à le faire : chaque lecture enrichit la suivante.
Et si ce sujet vous a donné envie de proposer un prochain Tiers-à -Tiers, il suffit d’écrire à l’équipe Trois-Tiers : un thème, une personne ressource, une envie de creuser ensemble… c’est tout ce qu’il faut pour ouvrir une porte. À très bientôt autour d’un prochain sujet !
=> Hello@troistiers.space
Annexes
Plateforme Commune Mesure : auto-diagnostic gratuit, socle d’indicateurs sociaux/éco/environnementaux et vues « datapanorama » pour comparer son tiers-lieu à ses pairs.
https://communemesure.fr/sevaluer-et-quantifier-ses-effets-environnementaux/
Module environnement Vertigo Lab : grille pas-à -pas + calculateur pour transformer vos gestes (énergie, déchets, carbone…) en chiffres d’impact.
https://observatoire.francetierslieux.fr/wp-content/uploads/2025/05/Les-outils-devaluation.pdf
PDF « Cartographie des outils d’évaluation » (France Tiers-Lieux, mai 2025) : panorama commenté de guides, MOOC et logiciels classés par type d’impact.
- https://www.campus-transition.org/fr/productions/2020-rci-ecolieux/
- Rapport RCI-E 2020 : méthode et résultats du Relation Capacity Index, indicateur en 5 dimensions pour objectiver la qualité du lien dans les écolieux.
- Analyse d'une relation au service du territoire - Niels Lallemand
Une étude systémique sur les relations entre tiers-lieux et acteurs publics en Wallonie, explorant comment ces espaces redéfinissent les services d’intérêt général, la coopération institutionnelle et la transition territoriale.