La place des enfants dans les tiers-lieux
Les rendez-vous Tiers-à -Tiers sont des moments de partage ouverts à tous·te·s. Une fois par mois, en visio, on y explore ensemble un sujet transversal, un enjeu vécu, une question qui traverse nos lieux — ou nos vies. Cette fois, c’est Aurélie Mannebach qui a proposé d’ouvrir la discussion…
🎥 Vous pouvez regarder la vidéo complète du rendez-vous Tiers-à -Tiers, ou bien lire l’article ci-dessous pour en découvrir l’essentiel. Ce texte reprend aussi fidèlement que possible le fil rouge de la rencontre — « La place des enfants dans les tiers-lieux » — et restitue aussi plusieurs digressions précieuses, qui ont élargi le débat pour celles et ceux qui préfèrent la lecture à la vidéo… ou qui souhaitent compléter leur visionnage par une mise en mots plus structurée.
https://zoom.us/rec/share/-FdIFz0wTwC6iJrv7FPb_ZXd8KKTkXAtO5bxs7wqoQJfzRQP4iq2x3AHvc51YMy-.qhAMUKmjQk7sh5aM
Mot de passe: 9Hk&@n4L
Dans l’imaginaire commun, les tiers-lieux sont des espaces d’expérimentation, de créativité et de réinvention sociale. Pourtant, une question fait surface dès lors que des familles s’y impliquent : quelle place donner aux enfants ?
Cette interrogation n’est pas anecdotique. Elle touche à la manière dont nous construisons nos collectifs, équilibrons les rôles parentaux, transmettons nos valeurs et inventons de nouvelles formes de vivre-ensemble.
Dans nos sociétés, le monde du travail et celui des enfants ont longtemps été séparés. Mais dans un tiers-lieu, cette frontière s’estompe. Les enfants y circulent, observent, posent des questions, et leur présence interroge la cohérence des discours : peut-on prétendre transformer la société sans réfléchir à l’expérience que nous faisons vivre à la génération qui grandit sous nos yeux ?
La place des enfants conditionne aussi celle des adultes, qu’ils soient parents ou non-parents. Pour que chacun puisse participer et se faire entendre, il est essentiel de prévoir des solutions concrètes : des horaires adaptés, une garde tournante ou un budget pour l’animation permettent de libérer la disponibilité des parents.
​Aligner compétence et cadre
Plutôt que de fixer des seuils d’âge, il peut être épanouissant de raisonner en termes de compétences. Participer à une réunion exige, par exemple, de rester assis longtemps, d’attendre son tour de parole et de se concentrer sur une question centrale. Posée ainsi, la question devient une forme d’auto-évaluation : l’enfant choisira s’il préfère tenter l’expérience d’une discussion sérieuse ou rejoindre une activité parallèle plus adaptée.
Cette logique peut s’appliquer aussi au travail collectif. Attendre d’un enfant le même engagement qu’un adulte peut être particulièrement frustrant. Pourquoi ne pas imaginer des formats complémentaires : des périodes d’implication plus courtes, des tâches adaptées, qui permettent de valoriser les compétences des enfants. La notion d’engagement devient alors relative à la capacité de chacun, et non uniforme.
Un autre levier intéressant réside dans le rôle des adolescents ou des animateurs. Leur position d’intermédiaires leur permet de créer un pont entre le monde des adultes et celui des enfants. Là où les adultes peuvent être perçus comme trop sérieux, autoritaires ou absorbés par la structure de la réunion, les adolescents et les animateurs apportent de la souplesse, du jeu et une proximité qui facilitent l’implication des plus jeunes. Ils peuvent transformer une tâche en défi ludique, une consigne en aventure partagée, et parviennent ainsi à canaliser les énergies sans brider la spontanéité.
Ce rôle a un double effet : il libère les adultes, qui peuvent se concentrer sur leurs propres responsabilités, et il valorise la personne qui assume cette médiation, qu’il s’agisse d’un adolescent reconnu dans son engagement ou d’un adulte dédié à l’animation. En donnant une place explicite à cette fonction intermédiaire, le tiers-lieu se dote d’un atout précieux pour inclure réellement les enfants, sans les instrumentaliser ni les reléguer à l’écart.
​Entre liberté et sécurité
La question de la sécurité traverse tous les collectifs, mais elle prend une résonance particulière lorsqu’il s’agit des enfants. Une différence de posture parentale peut rapidement engendrer des tensions : faut-il s’aligner par empathie sur la limite du plus inquiet, au risque de conditionner le groupe par la peur ? À l’inverse, le défi du lâcher-prise face à la sécurité de nos enfants n’est pas à prendre à la légère : il demande un chemin progressif, étape par étape, où chacun puisse trouver la juste mesure entre prudence et confiance.
Dans ce contexte, comme dans beaucoup d’autre, le conflit n’est pas un accident mais une composante de la vie collective. Les désaccords autour de la liberté laissée aux enfants deviennent autant d’occasions de transformer la friction en apprentissage partagé : apprendre à se respecter malgré des visions différentes, reconnaître la légitimité des peurs comme des élans de confiance, et tisser du lien humain à travers l’expérience commune. Plutôt que de les éviter, ces confrontations ouvrent la voie à une maturité collective, où la sécurité n’est plus une barrière mais un espace de croissance.
​Une porte ouverte sur le territoire
La présence des enfants agit comme un puissant catalyseur d’ouverture sociale. Leur curiosité naturelle, leurs questions parfois naïves mais souvent justes, déplacent les perspectives et obligent à envisager autrement ce qui se vit dans un lieu. Les événements qui leur font une place — ateliers, fêtes, rencontres familiales — attirent d’emblée un public plus diversifié que ceux réservés uniquement aux adultes.
Une question de cohérence
Questionner la place des enfants dans un tiers-lieu, c’est aller plus loin : c’est interroger la place que nous leur donnons dans la société, et la cohérence entre nos discours et nos pratiques. Penser des formats adaptés, prévoir des médiations, poser des cadres clairs, accueillir les conflits comme des occasions d’apprentissage, ouvrir le lieu aux familles et au territoire : autant de gestes qui dessinent une culture collective où chacun, quel que soit son âge, peut trouver sa place.
Les enfants ne sont pas des figurants tolérés dans un décor pensé par et pour les adultes. Ils sont déjà des acteurs du présent, capables d’influencer et de transformer nos manières de faire société — pour peu que nous leur ouvrions réellement la porte.
Quelques pistes parallèles
D’autres points, en apparence secondaires, ont ouvert des questions structurantes sur la manière dont nos collectifs vivent les différences de maturité, de rythme, de place symboliques ou statutaires. Ils interrogent les équilibres entre familles et non-parents, entre enfants et adolescents, entre valeurs affichées et usages réels. Voici un tour d’horizon de quelques pistes parallèles.
Aménager des espaces de parole pour les tensions entre parents
Lorsque des visions différentes de la parentalité cohabitent dans un même lieu, des tensions surgissent naturellement : horaires décalés, tolérance au bruit, usages partagés des espaces… Pour traverser ces frictions sans les enfouir, il est précieux de créer des espaces réguliers d’écoute et de régulation. Qu’il s’agisse de cercles de parole, d’intervisions informelles ou de médiations ponctuelles, ces formats permettent de poser les désaccords sans les faire porter aux seuls parents ou porteurs de projet. Ce sont des respirations qui donnent droit à la nuance, à la vulnérabilité, et à l’ajustement collectif.
Expérimenter une charte d’engagement à hauteur d’enfant
Certains collectifs ont tenté d’adapter leurs outils de gouvernance partagée aux plus jeunes, avec une charte d’engagement simplifiée, co-construite avec les enfants, faite de pictogrammes, de mots simples, de rituels symboliques. Ce geste, bien plus qu’une mesure pédagogique, traduit une intention profonde : reconnaître les enfants comme sujets à part entière, capables d’agir dans le cadre du collectif. Cela ouvre aussi la voie à des formes de redevabilité adaptées à leur âge, en misant sur la confiance plutôt que sur le contrôle..
Prendre soin du lien à l’adolescence
L’adolescence interroge souvent les collectifs : besoin d’émancipation, de prise de distance, parfois de rupture. Certains adolescents ayant grandi dans un tiers-lieu peuvent ressentir une forme d’étouffement ou une difficulté à trouver leur place face à des structures encore pensées par et pour les adultes. Plutôt que de voir leur éloignement comme une fuite, pourquoi ne pas le considérer comme un rite de passage ?
Un besoin spécifique émerge à cet âge : celui d’un élargissement du champ social. L’environnement ne se résume plus à un cadre matériel ou familial, mais devient un terrain de découverte identitaire, nourri par la confrontation à d’autres visions du monde, à d’autres parcours. Pour un adolescent, les camarades d’enfance ou les parents engagés dans les mêmes projets deviennent rapidement des repères limitants. Il lui faut explorer d’autres cercles, d’autres modes de pensée, pour pouvoir se situer.
En aménageant des espaces d’autonomie, de projets à la marge ou de responsabilités réelles — mais aussi en facilitant des passerelles vers l’extérieur du lieu — les collectifs peuvent accueillir cette phase comme une étape de transformation partagée, où l’individuation ne se fait pas au détriment du lien, mais en dialogue avec lui.
Ne pas marginaliser les non-parents
Enfin, lorsque la vie collective accorde une place centrale à la parentalité, le risque existe de reléguer involontairement les non-parents à la périphérie. Pour éviter ce déséquilibre, il importe de cultiver la diversité des postures et des rôles : proposer des temps conviviaux où chacun trouve sa place, valoriser les apports spécifiques de celles et ceux qui ne vivent pas avec des enfants, concevoir des formats inclusifs, ou même assumer certains moments "sans enfants" pour permettre d’autres formes de dialogue. La mixité générationnelle ne se décrète pas : elle se cultive par des gestes attentifs, des invitations claires, et une gouvernance consciente des écarts de rythme et de centre d’attention.
Un mot pour finir
Ce rendez-vous Tiers-à -Tiers a aussi été l’occasion de parler de la sortie du livre « Une école pour suivre ses élans ! », publié chez L’Arroseur de l’ombre. Aurélie y partage l’expérience de l’école démocratique « Herbes Hautes », en mettant en lumière la manière dont les enfants peuvent être pleinement intégrés dans les processus collectifs. Elle insiste notamment sur le fait qu’« inclure les enfants dans ces processus (démocratiques) les amène à comprendre le monde et participe au cheminement pour trouver sa place dans la société ». Elle rappelle que « la joie, la curiosité et le lien sont des moteurs puissants d’apprentissage ».
https://larroseurdelombre.com/
Si vous avez envie de contribuer à ces réflexions, de partager vos pratiques, vos ressources ou des exemples de lieux qui abordent cette question autrement, n’hésitez pas à le faire : chaque lecture enrichit la suivante.
Et si ce sujet vous a donné envie de proposer un prochain Tiers-à -Tiers, il suffit d’écrire à l’équipe Trois-Tiers : un thème, une personne ressource, une envie de creuser ensemble… c’est tout ce qu’il faut pour ouvrir une porte. À très bientôt autour d’un prochain sujet !
=> Hello@troistiers.space